La métaphore thérapeutique, éducative, philosophique est un support de langage qui, de tout temps, a servi à faire passer le message, à convaincre ou à faire réfléchir.
La plupart des thérapeutes usent de métaphores souvent de façon intentionnelle. Parfois la construction en est élaborée et demande une préparation. C’est la métaphore la plus classique, utilisée en hypnose thérapeutique, à l’aide de l’isomorphisme des histoires – celle du patient et celle contée par le thérapeute –, qui est censée permettre un transfert de message.
C’est une manière élégante de pratiquer, respectueuse du patient, qui peut en intégrer le sens plus ou moins consciemment. Toutefois, même si elle est inspirée par la problématique du patient, elle n’en est pas moins issue de l’art créatif du thérapeute. Il est bien difficile d’en percevoir l’impact et celui-ci sera d’autant plus important que le thérapeute aura pu saisir la position du patient, position vis-à-vis de la vie (ses valeurs, ses projets) et pas seulement position vis-à-vis du problème présenté. Giorgio Nardone utilise très souvent des images métaphoriques puissantes destinées à être mémorisées par le patient et qu’il intègre dans le dialogue stratégique en le nommant « langage performatif ». Elles sont destinées le plus souvent au recadrage, moment crucial de l’entretien puisqu’il ouvrira sur l’orientation ou la prescription thérapeutique. Cette prescription ne peut être acceptée que si le patient, à mesure du développement de l’entretien et au gré de questions stratégiques, a pu commencer à douter de sa position vis-à- vis du problème (c’est-à-dire de ses habituelles tentatives de solution).
Ainsi, la métaphore est-elle alors une image forte du problème ou de la situation du patient, tellement forte qu’elle invite le patient à amorcer un changement pour quitter sa position ancrée par le symptôme et ainsi à accepter la nouvelle orientation… et espère- t-on à l’expérimenter. Inspirée par la situation du patient, la métaphore est dans ce cas une création du thérapeute.
Mais le langage métaphorique est sans doute un langage propre à l’expérience de chacun ou à sa représentation du monde. C’est pourquoi être à l’écoute des métaphores du patient est un excellent moyen d’être renseigné sur sa position et ainsi d’entrer dans son monde dans la mesure où on accepte d’utiliser ses images sans forcément en comprendre le sens exact. Car on peut communiquer sans comprendre ! L’essentiel n’est-il pas que le patient se sente compris. Confucius disait : « Une image vaut mille mots. » Tandis que José Ortega y Gasset ose cette phrase très poétique pour dire le potentiel expressif de la métaphore : « La métaphore est sans doute un des potentiels les plus fertiles de l’homme. Son efficacité est à la limite de la magie. Elle ressemble à un outil de création que Dieu aurait laissé à l’intérieur de ses créatures quand il les a faites. » Selon Farrelly, ce qui marche c’est le langage métaphorique. Le langage comporte plusieurs domaines de communication : nos perceptions (mode sensoriel), nos cognitions (mode conceptuel), mais nos métaphores usuelles (mode symbolique) vont venir enrichir l’expression des perceptions et des cognitions en faisant référence à l’expérience mais aussi à toute représentation analogique.
Alors, comment le langage réussit-il le mieux reproduire la pensée ? Selon George Lakoff et Mark Johnson, les processus de pensée sont métaphoriques (1). Le thème de la structuration de la métaphore oriente la pensée et l’action. Le système conceptuel est métaphorique et induit la pensée (circularité), si bien qu’on ne sait plus d’où il vient. La vie est ainsi un chemin pour certains, un combat pour d’autres, ou encore une rose à la tige chargée d’épines. On voit bien que ces références imagées viennent autant de l’histoire du sujet, de ses expériences, de ses relations que de son contexte de vie ou de ses croyances elles-mêmes influencées par le milieu. Toujours est-il que chacun va se saisir de ce type d’images pour exprimer sa pensée et que les images créées auront elles-mêmes une influence sur les choix de vie. Mais la structuration métaphorique n’est conceptuelle que dans son contexte. La conceptualisation métaphorique se base sur les fondements de l’expérience historique, corporelle, émotionnelle que nous avons du monde. C’est ainsi que les proverbes se réfèrent de façon imagée au monde environnant d’une culture. Ils sont alors fort différents d’une culture à l’autre pour un même signifié.
La construction du monde est métaphorique et c’est parfois une construction limitante. On ne peut imposer une nouvelle construction métaphorique au patient (la nôtre) mais on peut lui permettre d’en façonner une plus adaptée à la période de vie qu’il traverse. L’implication thérapeutique, c’est qu’en changeant la métaphore conceptuelle, on peut changer la perception… idem dans le champ des synesthésies. Ce qu’il faut comprendre c’est que la structuration métaphorique perd son sens hors contexte. C’est pourquoi il faudra toujours adapter les histoires métaphoriques au contexte (culture, étape de vie) du patient.
Toutefois, et curieusement, certaines métaphores sont transculturelles, ce sont les métaphores d’orientation. L’enfer a toujours été dans les profondeurs tandis que le paradis se situe dans les hauteurs. L’avenir est devant nous et le passé derrière, et il est bien connu qu’il existe une psychologie des profondeurs et des approches plus superficielles. Notre langage le plus commun est-il, sans qu’on y prête attention, un langage d’influence ? Bien sûr, il y a bien d’autres formes de métaphores qui infiltrent notre pensée comme notre langage.
La description serait ici trop longue (comme les métaphores de contenant… la coupe est pleine…). Mais qu’elles soient structurales, ontologiques, importe peu car ce n’est pas l’analyse du langage qui compte le plus dans la relation au patient mais plutôt l’usage qu’il en fait. Le thérapeute a une occasion unique d’entrer dans le monde du patient. Car si le patient sent ses références comprises, s’il perçoit que son monde n’est pas étranger au thérapeute, l’alliance se nouera d’autant plus fortement. Et sans alliance, il y a peu d’avancée thérapeutique. On peut changer l’expérience en faisant évoluer la métaphore conceptuelle ou en modifiant la métaphore perceptive (synesthésies).
Dans notre propos, nous saisirons deux manières d’utiliser la métaphore du patient :
– la première est celle d’entrer dans son monde en utilisant toutes les images qui se réfèrent à sa métaphore (structurale) pour faciliter l’entretien thérapeutique ;
– la seconde qui sera une manière d’externaliser l’image métaphorique (métaphore ontologique) pour permettre une distanciation vis-à-vis d’une représentation envahissante et parfois aliénante pour mettre en place, à l’aide du questionnement, un jeu de langage favorisant la liberté des choix. Ces deux manières s’incluent dans un dialogue thérapeutique et permettent de façonner le questionnement. Nous ferons une brève allusion aux métaphores perceptuelles, merveilleuse porte d’entrée dans la transe hypnotique ouverte par le patient lui-même.
SURFER SUR LA MÉTAPHORE DU PATIENT EN ENTRANT DANS SON MONDE
Surfer sur la métaphore du patient, oui mais laquelle ? Il arrive que nos patients comme la plupart des personnes usent dans le quotidien d’expressions métaphoriques qui, même si elles sont connues ou ont un sens commun, possèdent chez eux un sens propre qu’il n’est nul besoin de connaître pour l’utiliser. Comprendre n’est pas l’essentiel de la tâche thérapeutique même si c’est utile. La première tâche thérapeutique est d’activer les processus internes du patient pour lui permettre d’ouvrir un nouvel horizon qui lui appartienne sans être suggéré par le thérapeute.
En posant des questions ouvertes au patient autour d’une expression métaphorique dont on soupçonne qu’elle exprime quelque chose de lui, de sa façon de percevoir l’existence, le thérapeute pourra faciliter ce processus d’ouverture par un questionnement approprié en reprenant les images propres du patient. Nous utiliserons de façon différenciée les métaphores structurales et les métaphores ontologiques.
James Lawley et Penny Tompkins : « L’organisation du langage et du comportement d’une personne sera isomorphe par rapport à l’organisation de ses processus cognitifs et toutes seront enracinées dans la nature incarnée de l’expérience. C’est pour cette raison que les changements dans un paysage métaphorique reflètent les changements en cognition qui, à leur tour, généreront de nouvelles pensées, de nouveaux sentiments et de nouveaux comportements. »
LES MÉTAPHORES STRUCTURALES
Ce sont celles qui nous donnent l’occasion d’entrer dans le monde du patient. Le thérapeute peut s’en saisir pour poser des questions qui pourront lui permettre de cerner l’objectif, de connaître les ressources relationnelles, mais aussi les exceptions, les espoirs, les projets que le patient porte en lui, parfois sans le savoir, et que sa métaphore laisse entrevoir en filigrane.
Nous allons prendre quelques exemples pour illustrer la façon dont peut se tisser le dialogue qui pour un observateur extérieur pourrait passer pour surréaliste, mais qui illustre la proximité, la connivence du thérapeute et de son patient.
« Je suis dans la galère »
– Vous ramez ou vous tenez le gouvernail ? (la position du patient est-elle active dans le projet de sa vie ou plutôt passive ?)
– Y a-t-il d’autres rameurs avec vous ou êtes-vous seul ? (les relations sont explorées)
– Cette galère est-elle perdue en mer ou sait-elle vers quel port se diriger ? (objectif)
– Où est le port ? Y êtes-vous attendu ? Est-ce que ce sera un lieu de repos ou au contraire un lieu d’intense activité ? (on précise le projet, l’objectif)
– Connaissez-vous la direction ?
– Le voyage a-t-il été long ? Y a-t-il des étapes ?
– Avez-vous espoir d’arriver à bon port ? (on explore l’espoir)
– Dans cette galère, y êtes-vous entré librement ou y avez-vous été contraint ? (exploration du choix)
– Une fois débarqué, que voudriez-vous réaliser ? (les intentions en lien avec les projets)
– Pensez-vous que le plus important dans cette galère c’est de rester sur le banc, ou c’est plutôt de voyager et d’arriver quelque part ? (objectif, motivations)
– Si vous deviez la quitter, la regretteriez- vous ? (motivation au changement)
– Qu’est-ce qui est le plus important : changer de bateau ou arriver dans un port ?
Le dialogue peut se poursuivre ainsi longtemps car il est rare que le patient ne joue pas le jeu une fois qu’on s’est saisi de l’image qu’il portait. Ce qui est intéressant, c’est que peu à peu cette galère, qui a si souvent la signification du bagne, va pouvoir se transformer en moyen de se réaliser, c’est-à-dire en possibilité de choix, surtout si on introduit des questionnements ouverts ou sous forme alternative, car implicitement ce questionnement transforme cette contrainte en choix.
« Je pète un plomb »
– De quoi avez-vous besoin pour remettre le courant ?
– Qui saura réparer ? Connaissez-vous un électricien ?
– Faut-il augmenter l’ampérage pour que la ligne tienne ? Comment ?
– Une fois que le plomb a sauté, comment revient la lumière ?
– Qui peut vous éclairer dans ces cas-là ?
« L’âne est trop chargé » (patient parlant de lui-même)
– Qui met la charge ?
– Qui peut le décharger, le soulager ?
– Où est l’écurie ?
– Jusqu’où doit-il aller aussi chargé ?
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