Dans toute relation thérapeutique, le face-à-face patient/praticien peut révéler chez ce dernier des fissures de vulnérabilité. Quelques pistes pour en limiter les risques, où se conjuguent la présence, l’écoute, la distance, l’attente, le partage de la pratique.
INTRODUCTION
Quelle doit être la position du praticien dans le contexte de la relation thérapeutique ? Cette question est centrale surtout quand nous abordons la problématique de la vulnérabilité du praticien. Bien évidemment il n’existe pas de position ou posture unique qui permet de protéger le praticien et de répondre à toutes les situations cliniques. Chaque contexte propose des situations de vulnérabilité plus ou moins dense. En effet, la vulnérabilité est un facteur humain partagé qui participe au « face-à-face » thérapeutique patient/ praticien. En même temps la place qu’occupe le praticien dans cette relation est telle qu’il doit être protégé pour amortir les risques néfastes de sa propre vulnérabilité dont peut-être il n’a pas de conscience perceptive. Le dictionnaire Le Robert définit le mot « vulnérable » comme : « Qui peut être blessé, frappé par un mal physique et qui peut être facilement atteint. » Le Larousse précise : « Qui est exposé aux atteintes d’une maladie, qui peut servir de cible facile aux attaques d’un ennemi, et qui par ses insuffisances, ses imperfections peuvent donner prise à des attaques. » Avec un peu d’ironie nous pouvons nous poser cette question : « Sommes-nous en bonne oumauvaise posture ou position ? » Nous ne débattrons pas ici d’une possibilité de différencier posture et position. Cette définition donne bien le cadre de notre discussion. En effet, comme praticien nous pouvons être blessé, subir des attaques, ressentir un mal physique, des insuffisances et/ou des imperfections. Toutes ces possibilités doivent être acceptées par le praticien comme éléments de la relation thérapeutique et source de vulnérabilité. Notons aussi que les effets de cette vulnérabilité peuvent évoluer pour leur propre compte par la suite. Pour cela nous discuterons de quelques thèmes transversaux qui permettent à chaque praticien de bien s’installer dans la relation et d’amortir les risques de vulnérabilité. Ces thèmes sont communs à chaque spécialité de soignants : la présence, la distance, le non-vouloir, l’attente et son corollaire le silence. Ces thèmes ne sont pas isolés les uns des autres mais représentent un tout qui détermine « la position du praticien ». Pour des raisons didactiques nous devons les aborder séparément et donnerons quelques éléments qui nous guideront dans notre réflexion. Nous aborderons aussi les possibilités collectives qui nous aident à bien nous positionner dans la relation thérapeutique et à nous protéger : les discussions de dossier en réunion transdisciplinaire, les supervisions, les congrès et autres réunions d’enseignement.
QUE VEUT DIRE ÊTRE PRÉSENT ?
Cette notion de présence thérapeutique repose sur des éléments précis que nous allons exposer. L’écoute et l’observation sont les socles de la présence thérapeutique (1). Mais de quelle écoute parle-t-on et de quelle observation ? Une écoute ouverte, attentive, sans présupposés, sans jugement, d’égal à égal, et sans anticipation. Une écoute qui embrasse le contexte. Une écoute ouverte engendre chez le praticien une disponibilité inconditionnelle : une manière d’« être là » (1) dans la relation et d’entendre aussi par moments les silences et les hésitations. S’installer dans cette écoute ouvre la porte à l’observation. Cette forme d’observation mérite elle aussi d’être attentive, elle perçoit tous les éléments de ce que l’on nomme classiquement « le non-verbal ». L’observation de l’expression du visage, de la gestuelle et du positionnement du corps. Tous ces éléments s’associent entre eux.
En même temps, notons que la présence n’est pas un élément de communication. Ceci peut apparaître comme paradoxal dans la mesure où nous parlons souvent de communication non verbale et verbale. Précisons que cette présence inconditionnelle entraîne l’abandon de son savoir, de la technique, des protocoles ou de scripts préconçus, et par conséquence des techniques de communication. Etre présent est une posture d’accueil qui reste en dehors des techniques de communication qui n’ont pas de place à ce stade de la rencontre thérapeutique. Les éléments de communication viennent éventuellement après comme support dans le « face-à-face » singulier patient/praticien pour expliquer et partager une adhésion ou faire passer un message. La présence est d’un autre ordre. Elle est là pour créer l’alliance thérapeutique, premier étage de toute démarche. Elle est là pour accueillir ce qui « est ». Elle est là pour trouver un point d’appui dans la démarche de soin. Cette présence thérapeutique scelle l’alliance qui sous-tend le contrat de confiance patient/praticien. Nous voyons bien que cette attitude de présence n’est pas quelque chose de facile à installer. Elle demande un travail de la part du praticien dans cette attitude inconditionnelle d’accueil « pure » ou « vide ». Dans le cadre de la vulnérabilité du soignant, cette présence thérapeutique permet au praticien de se retirer de tout présupposé ou toute anticipation laissant simplement la relation bienveillante s’installer dans le contexte. La libre expression du patient dans l’espace relationnel qui s’ouvre limite les possibilités d’agression qui pourraient surgir devant une anticipation hasardeuse, une interprétation douteuse (2) ou/et un présupposé aléatoire. Mais la question qui vient à ce stade est celle de la distance thérapeutique entre patient et praticien.
POSITION ET DISTANCE : QUELLE PLACE POUR LE SOIGNANT ?
A quelle distance s’installe la relation patient/praticien ? Cette question se pose souvent. Aidons-nous de la métaphore des vêtements. En effet, nous choisissons nos vêtements en percevant que nous y sommes à l’aise. Ni trop serré, ni trop large. Nous percevons que la texture nous convient, que les couleurs nous vont bien et qu’ils peuvent s’associer à d’autres éléments de notre garde-robe. En autres termes, nous percevons que ces vêtements sont à bonne distance de notre corps et que ce dernier accepte de les porter. Etre à l’aise dans la relation thérapeutique c’est être à la bonne distance, comme un corps dans ses vêtements : ni trop près, ni trop loin. Trop près le patient ne peut s’exprimer, peut se sentir agressé, ne peut respirer tranquillement, son corps ne peut se sentir libre et la parole s’éteint. Trop loin le praticien est comme absent dans une présence lointaine dans laquelle le partage est difficile. Il n’est pas là.
La distance est celle du corps mais aussi celle des paroles, du questionnement et de l’intimité de chacun qu’il convient de respecter. La bonne distance protège patient et praticien d’un partage de vulnérabilité. La bonne distance qui s’installe rentre dans le contexte thérapeutique qui s’offre au soignant mais aussi au patient. Comme dans les vêtements, la perception prend la place à la compréhension. En d’autres termes, nous percevons que nos vêtements nous conviennent et laissons de côté la compréhension des choses. La distance est un élément de sensorialité : nous percevons qui nous sommes, installés à bonne ou mauvaise distance.
Observons que la question du départ se poursuit tout le long de la rencontre au fil du temps. La distance n’est pas fixe. En effet dans l’espace-temps de la rencontre thérapeutique nous avons la nécessité d’ajuster la distance au contexte qui s’impose à nous : patient et praticien bougent et la question, sommes-nous à la bonne distance ? nécessite une attention perceptive soutenue. En d’autres termes, interrogeons-nous sur notre place et à quelle distance je me situe pour que la relation s’installe et vive. La distance est aussi dans le questionnement que nous proposons au patient.
A quelle distance se situe-t-il par rapport à la problématique ? Sommes-nous trop pressants, trop directifs ou trop intrusifs ? Pouvons-nous dire que la distance est comme une danse, un tango : tantôt près, tantôt plus loin. Une danse dans laquelle chaque participant s’installe pour être à l’aise et faire vivre le mouvement sans agression, ni attaque, ni blessure pour reprendre les mots de la définition. Dans cette danse thérapeutique comment se place le « savoir » du thérapeute ?
DU SAVOIR AU NON-SAVOIR
Le savoir, la connaissance thérapeutique est-elle une protection contre la vulnérabilité du soignant ? Bien évidemment le praticien doit être formé : c’est la base de toute pratique et probablement un obstacle à la vulnérabilité. Cette formation engendre un savoir que je nomme « technique » qui repose sur des éléments scientifiques et/ou de l’expérience proprement dite du soignant et celle du patient. Mais en même temps la prise en compte du contexte spécifique de chaque patient l’oriente bien souvent vers une créativité spontanée, générée par sa présence et la place qu’il occupe dans la relation. La connaissance de protocoles, d’algorithmes, de scripts préparés à l’avance rentre bien évidemment dans le cadre de la formation du praticien. Le praticien doit les connaître : c’est le savoir. Mais il est nécessaire bien souvent d’oublier son savoir pour rentrer dans le contexte, laisser la place à la créativité, à l’innovation et taire en quelques sorte le savoir qui peut réduire l’espace thérapeutique. Le praticien est comme le peintre devant sa toile, négligeant sa technique pour laisser la créativité s’exprimer et vivre. Cette attitude de « non-savoir » (3) se retrouve dans l’espace-temps de l’attente (4) dans lequel patient et praticien se retrouvent pour trouver et laisser éclore la ou les solutions thérapeutiques qui peutêtre n’étaient pas envisagées. Cette attitude d’oubli laisse la place à l’expression du patient qui trouvera son chemin. Toutes les attitudes créatives, audacieuses sont là encore comme un obstacle à la vulnérabilité. Ce partage temporel d’égal à égal dans l’espace thérapeutique est un élément central de la position du praticien mais aussi un élément indispensable de protection. Le praticien comme le soignant se balancent ensemble dans cette espace thérapeutique dans lequel savoir et non-savoir s’expriment. C’est dans cet espace de liberté que les deux partenaires se font confiance. C’est dans cet espace que le soignant n’exerce aucune volonté à la place du patient : il ne veut pas à la place du patient. Cette attitude de vouloir à la place de l’autre est une position qui engendre agressivité, attaque, fragilité et convoque la vulnérabilité (partagée ou non). Dans cette relation duale, vouloir à la place de l’autre est néfaste dans la recherche de solution. Cette position engendre une succession d’incompréhensions source de vulnérabilité et d’échecs partagés. Ensemble patient et praticien, nous nous balançons entre un volontarisme nécessaire mais quelquefois épuisant et un non-vouloir souple, créatif qui ouvre la porte aux solutions. Evoquons maintenant dans ce cadre la place de l’attente évoquée précédemment.
L’ATTENTE COMME POSITION OU POSITION D’ATTENTE ?
L’attente (4) est un espace de temps dans lequel nous nous situons pour que quelqu’un ou que quelque chose arrive. Ce quelqu’un ou cette chose peut être déterminé ou indéterminé comme le temps que nous passons dans cet espace. La perception de cet espace est centrale dans bien des contextes rencontrés. C’est dans cette position que patient et praticien peuvent s’installer ensemble, laissant l’immédiateté à distance. En effet, la ou les solutions ne peuvent surgir rapidement dans de nombreux contextes : nous devons attendre. Cette position d’attente autorise à laisser les éléments perceptifs mûrir, se transformer afin que le patient trouve son chemin. Cette attente peut être vide ou pure c’est-à-dire sans intentionnalité précise et sans direction prédéfinie. C’est dans cette posture de vide ou de non-vouloir que le chemin thérapeutique progresse. Cet espace est un lieu dans lequel la distance entre patient et praticien doit être perçue. C’est également un espace de présence partagée sans jugement ni présupposé. La place des mots n’est pas toujours nécessaire et le silence accompagne ce temps-là. Le silence des mots est peut-être le corollaire de l’attente. Cet espace est celui de la décision, de l’intuition et du changement. Cette position d’attente partagée dans laquelle chacun est à sa place engendre un relâchement et un soulagement. Il n’y a pas de pression, ni de vouloir, ni d’objectif précis. Ces éléments perceptifs estompent toute agressivité, toute attaque, affaiblissent les blessures et sont là comme rempart à la vulnérabilité. Ces quelques thèmes dont nous venons de tisser les grandes lignes font partie de la position de soignant pour réduire les risques d’une vulnérabilité toujours présente. Abordons pour terminer la place de la réflexion de groupe transdisciplinaire et la supervision.
LES RÉUNIONS DE DOSSIER ET LES SUPERVISIONS
Le praticien doit être entouré, soutenu et doit partager sa pratique. L’isolement est source de vulnérabilité. Pour cela l’organisation de réunions de dossier guidées par un praticien expérimenté est une nécessité absolue. Ces réunions permettent à chaque praticien de s’exprimer, d’exposer ses difficultés, ses doutes thérapeutiques ou ses satisfactions. Elles permettent aussi d’avoir un regard extérieur du groupe sur les problématiques posées. Elles ouvrent la porte à un travail d’évaluation et/ou de recherche. La réunion de supervision peut être collective ou individuelle. Elle est plus personnelle, quelquefois plus intime. La bienveillance guide les réunions de dossier ou de supervision. Elles ne sont pas là pour juger mais pour aider le praticien dans sa démarche thérapeutique. Elles le protègent. Ces deux sources d’enseignement, de partage voire d’évaluation sont des soutiens indispensables à la pratique thérapeutique. Elles stabilisent aussi la position du thérapeute et font obstacle aux éléments de vulnérabilité qui peuvent surgir. Notons aussi que les participations aux congrès ou toutes les formes d’enseignement rentrent également dans ce cadre.
CONCLUSION
Nous sommes tous vulnérables. La position adaptée du thérapeute diminue les risques de vulnérabilité. Nous venons de donner quelques directions en ce sens. Cette vulnérabilité peut s’exprimer par de nombreux tableaux cliniques. Elle va du doute en passant par la peur pouvant s’exprimer par l’incapacité d’exercer : nous sommes figés. Tous ces éléments peuvent évoluer par la suite pour leur propre compte rendant la situation du praticien très difficile. Les thèmes que nous venons d’évoquer méritent simplement que chacun s’y arrête. Cela demande du travail personnel, de la réflexion et peut-être de l’humilité. Ce court texte n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions ni d’être exhaustif. Il est une orientation pour que chacun s’adapte au contexte thérapeutique. Trouver sa position, sa place dans la relation thérapeutique est un enjeu et un travail difficile, quotidien, personnel et intime. Cette recherche est centrale pour affaiblir les risques d’une vulnérabilité toujours possible.
BIBLIOGRAPHIE
Marcou A., Etre là, ouvrage collectif sous la direction de Marc Galy, Flammarion/Versilio, 2018, pp. 55-61. 2. Naccache L., Le chant du signe. Aventures et mésaventures de nos interprétations quotidiennes, Odile Jacob, 2017. 3. Graziani R., L’usage du vide. Essai sur l’intelligence de l’action, de l’Europe à la Chine, NRF Gallimard, 2019. 4. Galy M., L’attente, Satas, 2020.
Dr Marc GALY
Anesthésiste réanimateur. Responsable de la consultation d’Hypnose médicale à l’Hôpital Saint-Louis Paris 10. Praticien à l’Institut Rafaël Santé Intégrative à Levallois-Perret. Auteur des livres Etre là (Flammarion/Versilio, 2018), ouvrage collectif dirigé par Marc Galy, et L’attente (Satas, 2020). Assure des formations à l’institut In-Dolore et au CHTIP Collège d’Hypnose et Thérapies Intégratives de Paris
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