Une hypnose intégrative pour relier le corps et l’esprit. La temporalité et les émotions dans un parcours de soins.

Dr Marc GALY

Traitée pour un cancer du sein, cette patiente trentenaire vit un bouleversement émotionnel déstabilisant. Avec l’utilisation de l’hypnose, intégrée dans un parcours global de soins, elle est invitée à changer de fréquence pour retrouver une certaine stabilité.

Mon travail entamé depuis quelques années consiste à accompagner les patients dans des parcours de soins quelquefois difficiles, longs et qui peuvent engendrer des bouleversements personnels, familiaux et professionnels. J’apporte donc ma contribution dans un effort collectif dans lequel s’intègrent prise en charge spécifique et vision plus large dans un cadre de prise en charge non conventionnelle, intégratif ou complémentaire selon l’appellation que chacun veut bien donner : « Etre là » (1) dans un accompagnement collectif, organisé, coordonné et évalué. Entrer dans un parcours de soins après l’annonce d’une maladie chronique cancéreuse ou non cancéreuse (maladies inflammatoires, neurodégénératives, diabète, insuffisance rénale, etc.) engendre des modifications intimes.

Le patient ressent comme un arrêt ou une déviation de vie dans laquelle il a besoin d’aides pour retrouver une certaine stabilité et trouver des solutions. On observe aussi que les traitements engagés, qu’ils soient chirurgicaux, médicaux ou associés, engendrent bien souvent des effets secondaires physiques (modifications corporelles, nausées, vomissements, douleurs musculaires, articulaires, troubles du sommeil, alimentaires, etc.) ou cognitifs (états émotionnels modifiés, annonce traumatique, anxiété et dépression, etc.). Tous ces aspects doivent être pris en charge globalement par une prise en charge multidisciplinaire, coordonnée, ciblée et évaluée (2). Dans cet objectif centré sur le patient en globalité et non uniquement sur la pathologie concernée, l’hypnose dans sa variété des pratiques a une place importante. Il est difficile actuellement d’envisager dans ce contexte une seule orientation thérapeutique, chaque intervenant apporte sa pierre dans le chemin de la stabilisation ou de la guérison. L’hypnose vient alors s’impacter dans d’autres approches comme : l’activité physique adaptée, le yoga, la nutrition, la méditation ou l’art-thérapie. Dans la clinique quotidienne, les patients dans ce cadre se plaignent bien souvent d’un état émotionnel perturbé dans lequel colère, peurs, pleurs et agitations corporelles (sueurs, palpitations, sensation de malaise) viennent noircir leur quotidien.

Ils demandent de l’aide pour atténuer cette situation. Comment l’hypnose intégrée dans un parcours de soin global peut les aider à gérer cette déstabilisation émotionnelle dans ce contexte ? Bien souvent nous entendons : « Je n’étais comme ça avant… mais pourquoi je ne fais pas face ?… je suis irritable pour tout… je pleure à la moindre situation… je dors très mal… je suis agité… comment je vais m’en sortir ?… je vais devenir quoi ?… mes enfants je ne les supporte plus… mon mari m’énerve et pourtant il fait tout ce qu’il peut… je vais perdre mon travail… hier j’ai eu des vertiges… j’ai dû m’allonger pendant deux heures… etc. »

LA TEMPORALITÉ : REVIENS LÀ (3)

Nous pouvons schématiser nos « espaces-temps » en trois étapes, les uns alimentant les autres : le passé, le présent et l’avenir. Je parle ici « d’espace-temps » et non « d’instant présent » qui me semble trop réducteur, trop focus dans ce contexte dans lequel nous cherchons à élargir notre espace de perception. Nos pensées, notre esprit, se baladent dans les trois espaces : « Mais avant je n’étais pas comme ça… avant je n’avais pas ces palpitations à la moindre chose… comment je peux faire maintenant ?… je n’arrive à rien… mais comment je vais pouvoir reprendre le travail si je reste comme ça ?… comment mes enfants vont me juger si je ne peux m’occuper d’eux ?… que va devenir mon couple ?… etc. » Le corps n’a pas cette possibilité de naviguer dans les trois espaces de temporalité. Il est là où il est ! Comme nous le soulignons souvent, notre prise en charge hypnotique est de réunir « corps-esprit » dans l’espace de temporalité dans lequel nous sommes.

Le seul espace dans lequel tout est « là » est l’espace du présent : dans l’espace-temps du passé nous n’y sommes plus, et dans l’espace-temps du futur nous n’y sommes pas encore. Cette visualisation et ce changement de perception forment une étape indispensable dans la prise en charge émotionnelle des patients. Percevoir l’unité « corps-esprit » dans l’espace-temps dans lequel nous sommes est un élément central de l’aide thérapeutique. Dans cette approche, afin de faciliter cette visualisation, je m’aide de schémas que je construis avec le patient pendant notre entretien. C’est dans l’espace dans lequel nous sommes que les choses peuvent se modifier, et non pas dans l’espace-temps dans lequel nous ne sommes plus ou celui dans lequel nous ne sommes pas encore. Cette perception des choses autorise le patient à changer sa position et à s’installer « là où il est ». Observons que cet espace de présence est alimenté par l’espace-passé et alimentera l’espace-futur dans lequel nous nous dirigeons mais dans lequel nous ne sommes pas encore. Cela ne résout pas tout, loin de là, mais autorise « le corps et l’esprit » à retrouver une stabilité. Passer d’un état instable à une stabilité temporelle est une étape importante.

Dans cette approche de la perception de la temporalité, comment aborder les perturbations émotionnelles du patient ? Comment accepter ces états d’instabilité émotionnels qui troublent et peuvent envahir le quotidien ? Bien souvent je pose cette simple question dans ce contexte de bouleversement d’annonce et de prise en charge thérapeutique : « Cela vous étonne-t-il tous ces changements et cette perception de grande instabilité dans le contexte dans lequel vous êtes actuellement ? » A ma surprise, cette proposition surprend toujours le patient. Il ne s’est jamais interrogé sur cette transformation émotionnelle dans le contexte qu’il traverse. Après un moment d’hésitation et de silence, j’entends : « non ». Ce « non » le soulage comme une certaine acceptation de ces modifications émotionnelles dans le contexte. Comme si cette réponse venait comme un signe de son humanité vulnérable. Accepter ce « non » fait baisser une certaine tension émotionnelle qui jusqu’à présent était extérieure à lui, ne lui appartenait pas, comme quelque chose d’étrange et d’anormal. Revenir là, dans la perception des états émotionnels, est me semble-t-il une étape importante dans le changement envisagé : accepter ce qui est là.

L’hypnose est un processus dans lequel nous nous aidons de métaphores, d’imaginaire, de mots et de silences dans lesquels le patient s’installe progressivement le long de l’entretien. Ces états émotionnels sont-ils des fréquences sonores qui dans un certain contexte environnemental s’allument et résonnent avec trop d’intensité ?

« COMMENT ÉCOUTEZ-VOUS LA RADIO ? »

Je reçois une femme de 32 ans sans antécédents qui est en cours de traitement pour un cancer du sein. Elle est en arrêt maladie depuis le début du traitement qui associe chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie. Elle est mère de deux enfants, vit en couple avec un homme de son âge qui travaille comme haut fonctionnaire dans un ministère. Elle suit un parcours de soins non conventionnel, dit intégratif, dans lequel s’associent yoga, art-thérapie et nutrition. Ce parcours est coconstruit avec la patiente et coordonné. Elle décrit plusieurs modifications émotionnelles avec des pleurs et une sensation de peur avec palpitation. Son sommeil est perturbé, elle est fatiguée et a beaucoup de difficulté à faire face aux demandes familiales. Nous discutons un long moment et je perçois que ces changements émotionnels l’inquiètent et la déstabilisent beaucoup.

Je m’aventure à lui poser cette question : « Cela vous étonne-t-il dans ce contexte de parcours de soins difficile, dans cette déviation de vie qui surgit comme un tsunami dans votre vie personnelle, professionnelle et votre intimité ? » Après un silence, elle me répond : « Non. »
– Thérapeute : « Nous sommes simplement des êtres humains et nous avons des fonctions émotionnelles qui peuvent se modifier, surgir, nous envahir dans les contextes que nous traversons. C’est notre humanité et quelquefois elle s’exprime et nous rend vulnérables. Le premier sourire est là…
– Th. : Nous allons vous aider, vous accompagner dans cette déviation de vie et vous amener à la fin de cette dernière pour retrouver votre chemin et votre place. Pouvez-vous vous installer dans ce fauteuil le plus confortablement possible et vous laisser ressentir par l’appui, le soutien et la stabilité du corps, là, maintenant (4) ? Vous pouvez fermer les yeux ou pas à votre convenance ? Quand vous sentez bien ce contact sans rien faire de particulier, pouvez- vous accompagner votre corps dans cette position “sans être contre” (5) ? Je vous invite à être avec lui. Quand tout cela est en place, pouvez-vous me faire un petit signe de la main ? Prenez votre temps que vous vous êtes accordé en venant ici… Quelques instants sont nécessaires pour s’installer dans ce fauteuil.
– Th. : OK. Maintenant que vous êtes installée dans ce fauteuil avec l’appui pour soutenir votre corps et que vous êtes réunie, je vais vous poser une petite question très simple. Vous passez dans le couloir de votre appartement et dans une pièce où il n’y a personne, vous entendez la radio qui marche avec un état sonore très important. Que faites-vous ?
– Patiente : Je la baisse et je la ferme.
– Th. : Allez-vous jeter la radio par la fenêtre ? Cela vous empêche-t-il d’écouter la radio dans le futur ?
– P. : Non (avec un sourire devant ces questions un peu étranges).
– Th. : Je voudrais savoir quelles stations vous écoutez à la radio ? Et comment ?
– P. : J’écoute France-info, Nostalgie et quelquefois France Culture, rarement autre chose, souvent en voiture ou dans la cuisine.
– Th. : Que faites-vous si le programme ne vous intéresse pas.
– P. : Je change de station.
– Th. : Très bien. Donc vous n’écoutez que trois ou quatre fréquences dans une atmosphère sonore qui vous convient. Vous changez de station quand cela ne vous convient pas. Savez-vous qu’il y a d’autres possibilités ? Il y a peut-être d’autres stations à écouter ou à découvrir que celles que vous écoutez habituellement. Vous connaissez sûrement d’autres fréquences mais vous les écoutez rarement, et d’autres que vous n’avez jamais entendues que vous pouvez découvrir et qui seront peut-être une bonne surprise. La radio possède de nombreuses possibilités que vous connaissez et d’autres que vous ne connaissez pas. Etes-vous d’accord avec ces propositions ?
– P. : Je suis d’accord avec vous. Et alors !
– Th. : Nous sommes comme des postes de radio. Nous avons de nombreuses fréquences, la peur, la colère, l’agitation, les palpitations, les pleurs, et bien d’autres choses que nous pouvons écouter : c’est notre humanité. Nous avons de nombreuses fonctions et nous écoutons toujours les mêmes à un régime sonore qui ne nous convient pas toujours dans le contexte que nous traversons. Nous n’avons pas la curiosité d’aller écouter d’autres fonctions. En plus, nous ne savons pas comment faire quand certaines fréquences sont trop sonores, alors que spontanément vous savons le faire chez nous quand la radio hurle dans une pièce vide. » Je passe du « vous » à « nous » pour rejoindre le patient dans tous les possibles. Nous sommes ensemble dans cet exercice. Le silence s’installe devant ces différentes suggestions. Nous sommes capables d’écouter la radio à un régime sonore qui nous convient et nous avons la possibilité d’écouter d’autres fréquences.
– Th. : « Pouvez-vous baisser une fréquence, là maintenant, qui est trop sonore ? Pouvez-vous l’entendre et la mettre à un niveau qui vous convient ? Pouvez-vous vous enfoncer encore plus dans le soutien du fauteuil ? Le silence s’installe quelques minutes…
– Th. : Pouvez-vous vous laisser ressentir par une autre station que vous avez l’habitude d’écouter et qui puisse vous convenir, si la précédente ne vous intéresse pas ou vous gêne par les propos qu’elle diffuse ? Ne faites rien de particulier, laissez venir une autre fréquence qui peut vous satisfaire et vous apporter un peu de sérénité. Vous allez peut-être découvrir là une autre fréquence, quelque chose que vous n’avez jamais entendu, une musique, une émission artistique, un débat… une surprise. Le silence s’installe…

Dr Marc Galy Anesthésiste réanimateur. Ancien responsable de la consultation d’Hypnose médicale à l’Hôpital Saint-Louis Paris 10. Consultant à l’Institut Rafaël Santé Intégrative et à l’Hôpital Suisse de Paris. Membre associé au Collège de Médecines intégratives et complémentaires. Assure des Formations à l’Institut In-Dolore et au CHTIP Collège Hypnose & Thérapies Intégratives de Paris

NOTES
1. « Etre là », ouvrage collectif sous la direction de Marc Galy, Flammarion/Versilio, 2018.
2. Toledano A., « L’art de soigner », humenSciences, 2022.
3. Klein E., « La fabrique du citoyen », Rencontre avec Christophe et Etienne Klein, YouTube, 25 avril 2023.
4. Galy M., « Dans le fauteuil de l’hypnose : Installez-vous », Erès, 2023.
5. Roustang F., « Jamais contre, d’abord. La présence d’un corps », Odile Jacob, 2015.

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Effet placebo, dialogue stratégique.

Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :

Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.

Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.

. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.

Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose.Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.

. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.

. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.

Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.

Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe,de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme,d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie,et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.

Crédit photo: Caroline Berthet